Au cours des Années Folles, « l'aventure monétaire » domine l'histoire économique de la France. Habituée à une totale sérénité dans ce domaine, la nation est surprise par ce phénomène à la fois si ancien, et si nouveau pour elle...
Attention, les informations qui suivent font parfois appel à des notions assez « ardues » en matière d'économie, mais leur intérêt en termes de jeu ne les destine qu'aux Gardiens soucieux de TOUT connaître sur la France des Années 20.
Rien ne va plus!
La guerre laisse un lourd héritage. Outre les pertes humaines et les ruines matérielles, elle a malmené le franc et tout l'ensemble du système monétaire.
Pendant la guerre, l'immense majorité des dépenses fut couverte grâce à l'appel au crédit (emprunts intérieurs, émissions de bons à court terme, avances de la Banque de France, emprunts extérieurs), et l'Etat s'est endetté au total de 158 milliards. Le franc cessa d'être librement convertible en or dès le 5 août1914, mais les accords monétaires interalliés conclus pendant les hostilités ont masqué sa dépréciation (la France ne parviendra jamais plus à rétablir la libre convertibilité...).
Le billet, détaché de l'or, peut alors servir à financer prioritairement la guerre. Le masse des billets de banque sextuple - la circulation fiduciaire, de 5,7 milliards à la fin 1913 est de 30,2 milliards en décembre 1918 - créant ainsi une situation idéale pour que s'installe l'inflation.
Quant aux pièces d'or et d'argent, elles disparaissent progressivement (et pour toujours!) de la circulation. La masse monétaire est donc simplifiée. Elle se partagera désormais entre billets et chèques.
Le déficit des comptes et la chute du franc
Au sortir de la guerre, les besoins en matières premières, en produits alimentaires et manufacturés sont considérables: il faut nourrir des millions d'hommes affamés, vêtir les millions de démobilisés et tous ceux que le rationnement a empêchés de renouveler leur garde-robe, reconstituer les stocks épuisés, reconstruire et ré équiper les usines détruites, rétablir les réseaux de transport disloqués, remettre en état la flotte marchande, et remplacer le matériel usé. Les industries qui ont travaillé pour la guerre doivent se reconvertir. Le mot d'ordre général est « produire davantage », mais, dans l'immédiat, il faut faire appel aux seuls états qui possèdent les produits dont on a le plus grand besoin: le Japon, les États-Unis, le Canada, le Brésil et l'Argentine.
Après avoir baissé à la fin du conflit, les prix - qui avaient connu une hausse continue pendant la guerre du fait de l'accroissement de la demande - reprennent leur marche ascendante.
Ils connaissent une augmentation d'autant plus rapide que les besoins paraissent illimités. Les prix du pétrole et du blé quadruplent; pour la soie, ils font plus que tripler; pour le coton, ils doublent...
Les importations se développent donc tandis que les exportations restent très faibles.
Le déficit des comptes s'aggrave encore, à partir du 14 mars 1919. En effet, les États-Unis, puis la Grande Bretagne, décident brusquement de mettre fin à la solidarité établie entre les trésoreries alliées, et les avances, qui avaient jusqu'ici maintenu artificiellement la parité du franc avec le dollar, cessent pratiquement du jour au lendemain.
Les crédits privés et les avances des banques sont incapables de compenser cette rupture, le franc fléchit brusquement, la livre passe de 25F 97 à 26F 36, le dollar de 5F 45 à 5F 52. A la fin du mois, la livre est à 27F 83, le dollar à 6F 07. A la fin de l'année 1919, les cours de ces deux devises sont respectivement de 41 francs et 11 francs.
Un an plus tard, fin 1920, la livre cote environ 60 francs et le dollar 17 francs. En vingt mois, le franc a perdu les deux tiers de sa valeur!
L'effondrement des devises entraîne une réduction de la demande, la France n'a plus « le moyen d'acheter », les exportations de céréales baissent de moitié, rapidement suivies par celles de café, de sucre, de cuivre, de plomb, de zinc et de soie japonaise.
Cette diminution entraîne la baisse des frets, le ralentissement de la construction navale et des industries sidérurgiques.
La crise gagne les industries mécaniques, les textiles, les mines de houille, le pétrole et le bâtiment. La réduction des salaires qui en découle est drastique et le chômage explose littéralement. Les banques – dont beaucoup connaissent des difficultés - resserrent les crédits. Le cours des valeurs s'effondre.
En 1921 et en 1922, il ne se produit aucune hausse marquante sur le plan des devises étrangères, même si la livre vaut 53,07 F au mois de décembre 1921 et 65,85 F en novembre 1922. Mais la crise a laissé des traces durables: l'inflation crée un véritable chaos monétaire.
L'inflation et le chaos monétaire
La sécurité et la stabilité, dont avait joui la France industrielle et commerçante pendant tout le 19ème siècle, font place maintenant à une instabilité monétaire qui bouleverse les habitudes et rend extrêmement difficile le relèvement de l'économie. Le pays ne parvient pas à restaurer sa monnaie au niveau d'avant-guerre, il lui faut pourtant absolument la stabiliser et surmonter les conséquences de l'inflation.
Oublieuse du fait que la guerre a déjà fait perdre au franc les 3/4 de sa valeur et que son cours privilégié n'était dû qu'au soutien des trésoreries alliées, la France - persuadée que « le Boche paiera » - a financé par l'inflation la reconstruction des régions dévastées et contracté des emprunts qui portent la dette publique à 294 milliards en 1921 contre 32 seulement en 1914. La persistance du déficit budgétaire et l'occupation de la Ruhr favorisent une spéculation à la baisse, le dollar monte à près de 20 francs et la livre à 85 francs en 1923. En 1924, l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle majorité parlementaire disposée à voter un prélèvement sur le capital déclenche la panique. Les capitaux sortent du pays, les achats de devises étrangères se multiplient, les demandes de remboursement des bons du Trésor et des bons du Crédit national dépassent les souscriptions nouvelles; une manoeuvre spéculative porte en juillet 1926 la livre à 240 francs et le dollar à 49F 22.
Le gouvernement Herriot se retire devant la menace de suspension des paiements de la Banque de France et cède la place à un gouvernement Poincaré qui renverse la tendance; la livre revient à 126 francs, le dollar à 25F 52. En juin 1928, le « franc Poincaré », stabilisé depuis 18 mois, est légalement dévalué à une valeur cinq fois inférieure à celle du franc Germinal.
Les conséquences de l'inflation
>> La hausse des prix: la hausse des prix est, pour le consommateur, la manifestation de l'inflation. Cette hausse s'explique tout naturellement par la multiplication des billets de banque. Elle tire aussi son origine d'une demande accrue de produits de consommation après les privations de la guerre. Elle vient enfin de l'augmentation des impôts et des salaires qui pousse le producteur à accroître ses prix pour préserver ses bénéfices.
La hausse des prix a été rapide pendant la guerre; elle continue ensuite mais est stoppée à cause du ralentissement économique mondial (1920-1921); elle reprend à partir de 1923, et surtout en 1924, pour se poursuivre jusqu'en 1926. Après le retour au pouvoir de Poincaré, la vie chère ne sera plus la préoccupation principale du Français moyen: les prix vont se stabiliser et même accuser une tendance à la baisse.
Pour un indice des prix de 100 en 1914, on obtient:
- 1914 =100
- novembre 1918 = 344
- avril 1924 = 432
- juillet 1926 = 804
Note: Les conséquences sont heureuses pour le producteur; elles sont désastreuses pour le consommateur à revenus fixes.
>> L'épargne et les mouvements de capitaux: les Français ont l'instinct de l'épargne. Les pertes éprouvées du fait de la guerre ne les empêchent pas, une fois la paix restaurée, de « mettre de côté » une partie plus ou moins substantielle de leurs revenus. Seulement cette épargne, ils la placent moins volontiers qu'auparavant en immobilisations productives. Les plus nombreux - et les moins avisés - souscrivent aux emprunts publics (en 1921, on souscrit quatre fois plus et en 1925 huit fois plus qu'en 1913). Les malins achètent des valeurs étrangères, des stocks de matières premières, des tableaux, de l'or ou exportent leurs fonds vers des pays tel que la Suisse afin de les mettre à l'abri. Les premiers verront jusqu'au milieu de 1926, leur fortune fondre au feu de la dépréciation monétaire; ils en récupéreront ensuite une fraction. Les seconds bénéficieront d'un enrichissement nominal que le relèvement du franc rendra de plus en plus précaire. L'inflation provoque de très importants mouvements de capitaux provoqués par « l'inquisition fiscale » et l'instabilité; elle engendre chez les possédants une peur qui les porte à rechercher des « valeurs réelles » (tableaux, oeuvres d'art, lingots d'or), des devises fortes ou à exporter leurs possessions afin de les mettre en sécurité.
>> Le bouleversement des fortunes: l'inflation bouleverse la répartition des fortunes en allégeant de manière substantielle - jusqu'au point de les faire disparaître - les charges résultant des emprunts d'Etat et des particuliers, notamment les dettes hypothécaires des agriculteurs par contre, les créanciers, les rentiers, les propriétaires d'immeubles, les commerçants - qui ne peuvent remplacer aisément leurs stocks - sont ruinés; les salariés - dont les salaires ne suivent que de très loin la hausse des prix - voient leur pouvoir d'achat réduire considérablement. L'inflation entraîne donc un abaissement du niveau de vie des salariés, la prolétarisation des classes moyennes, tandis qu'elle favorise tous ceux qui travaillaient pour l'exportation, notamment les grandes entreprises dont elle accélère la concentration et la rationalisation.